Cérémonie d'EntréeSalle de Réception
Jamie
Willow
Willow
&
Cie
Cie
Je suis ce qu’on appelle couramment un connard, un sacré connard. J’ai même entendu une fois « sale petit connard de merde. » Bon, ça venait d’un mec bourré qui m’agressait alors que je passais devant un bar vers deux heures du matin donc peut-on dire que c’est vraiment justifié ? Le gars empestait la téquila et la clope, ses dents étaient pourries sans doute comme son foie et il avait dégueulé sa bile répugnante sur mes pompes. Je vous laisse imaginer ce sublime tableau, je n’avais pas trente-six solutions possibles. Je lui avais à mon tour vomi dessus, des insultes je précise, et la tension était très rapidement montée. Ses mains moites aux ongles noircis et rongés agrippèrent vite le pull que je portais ce soir-là. Je revenais de chez mon frère, on avait fêté l’anniversaire de sa femme. Je n’étais pas des plus sobres mais bon, je l’étais déjà bien plus que ce porc qui titubait sur le trottoir et qui répandait son odeur putride sur mes fringues. Il me dominait d’une tête et l’imprévisibilité de son geste me prit au dépourvu. Il profita de ma surprise pour m’exploser le dos contre un mur tagué, me sonnant légèrement au passage. Le « sale petit connard de merde » fut donc projeté à ma gueule en même temps qu’une flopée de postillons. Beurk. Ses doigts d’alcolo se refermant sur mes joues suffirent à me sortir de la confusion causée par le choc de l’impact. Ce touché froid et puant me ramena à moi et je ne perdis pas plus de temps. En un temps record, mon genou vint heurter ses côtes et je fus libéré de son emprise. Le type se courba, ses deux mains pressées contre son ventre. Je profitai de cet instant de faiblesse pour marquer sa mâchoire de mon poing. La violence de mon coup et le taux d’alcool le firent tomber à la renverse sur le sol froid. Pour qui il se prenait ? Me dégobiller sur les pieds pour ensuite me cracher à la gueule ? Franchement, on est où là ? Retourne te saouler à l’intérieur ou rentre te pieuter mais dégage tout de suite de mon champ de vision, vieux con. Trouve quelqu’un d’autre sur qui gerber. Putain, il avait ruiné mes godasses l’enfoiré. J’étais resté quelques instants à le regarder geindre et se tortiller par terre comme un asticot. Mon Dieu, c’est moche l’alcool quand même. Je toisai cette ordure une dernière fois avant de passer mon chemin. C’était pas tout mais j’avais des Converses couvertes de morceaux jaunâtres à nettoyer.
De retour à l’appartement, Eliott dormait toujours. Je m’occupai donc de mes petites affaires le plus silencieusement possible pour ne pas le sortir de son sommeil. Je montai mes chaussures, ou plutôt ce qui restait de mes chaussures, dans la salle de bain et constatai mieux l’ampleur des dégâts. Eh bien j’ai eu mal. Elles étaient foutues. La toile était imprégnée de dégueulis, les lacets gouttaient de jaune marronné et l’odeur… Putain de merde l’odeur… Ah mais il fallait acheter un nouveau produit pour lutter contre ça sinon ça n’allait pas le faire. Heureusement que le peu de whiskey que j’avais bu ne m’avait pas grillé les derniers neurones qui me restaient et que j’avais bien fait gaffe de ne pas emmener le cadavre de mes godasses dans la salle de bain de ma chambre. J’aurais été forcé de dormir dans une bulle de gerbe sinon. Enfin bref, j’avais passé au moins deux heures à essayer de sauver mes pompes. Frotter, rincer, frotter, rincer, ce cycle répété en boucle dans la baignoire. Enculé de mec beurré tiens… J’avais sauvé les meubles comme je pouvais ce soir et j’étais allé me coucher. Le lendemain matin, j’étais de nouveau à quatre pattes dans la salle de bain pour repasser un dernier coup de produit sur mes pauvres Converses. Merci Bouddha, on était samedi. Bon, après un combat acharné, j’avais réussi à les sauver. Salopard. Si je te recroise mon con, je te fais bouffer mon pied au cul, connard.
Connard, connard… Ah oui c’est vrai, je disais qu’on me traitait assez souvent de connard. Un connard qui parle mal et qui remplit sa tête d’a priori. En même temps, tu vois un gars qui fait pitié en chancelant à la sortie d’un bar, ou une bande de mômes qui se rincent l’œil sur un magazine de lingerie, tu réagis comment ? Quelle image tu t’en fais ? Aux dernières nouvelles, on vit pas chez les Bisounours là. Nan nan, dans le vrai monde réel de la réalité véritable, les mecs bourrés te dégueulent dessus et les gamins se pignolent sur Stephanie qui pose dans ce magazine gisant sûrement planqué sous le plumard d’un de ces gamins. Me prenez pas pour une bleusaille, faut voir le monde comme il est un peu de temps en temps, quitte à passer pour un connard. La vision que je me fais des gens dépend uniquement de ce qu’ils choisissent de me montrer. Ils sont pas obligés de passer pour des personnes immondes, immatures ou immorales. C’est pas moi qui leur dis comment se comporter ou comment vivre. Si c’était le cas, vous pensez vraiment que je choisirais de m’entourer d’alcolos et de pervers ? … Mais non ! Putain… Bref… J’ai des images préconstruites dans ma tête, c’est comme ça. Ca fait vingt ans maintenant que je fonctionne comme ça donc bon, un peu tard pour changer. Pas sûr que j’arriverais à penser autrement même si j’essayais de toute façon alors, pourquoi m’emmerder ? J’ai mes a priori, comme le connard que je suis et je les assume. Les bourges de ce lycée sont des petites enflures pourries gâtées qui chient sur les idées d’égalité et de respect. Quand tout t’est servi sur un plateau depuis ton enfance, pourquoi t’emmerder à envisager la vie autrement ? T’as pas envie, en te réveillant le matin, de te démener pour t’offrir tel ou tel chose. Je les voyais comme ça, ces morveux à la cravate rayée.
Les remarques de Wells me firent rire intérieurement. Mon visage naturellement fermé ne laissait rien transparaître mais au fond de moins, un sourire se dessinait. Ce gamin était hargneux et montrait facilement les dents. Il avait ses convictions, ce que je respectais amplement. Il pensait qu’en aboyant fort, il se montrerait plus intimidant. Mais ce n’était qu’un chiot couinant après les disparités évidentes qui gouvernaient Hampton. J’avais conscience de ces différences sociales, il fallait être con comme une poêle à frire pour ne pas s’en rendre compte. Les quelques mois ayant suivi ma première rentrée furent suffisants pour que je m’aperçoive de tout ce petit manège. Je n’étais pas aveugle, ni plus débile qu’un autre, je savais que l’injustice gangrenait le lycée. Mais bon, à part recadrer les élèves péteux, qu’est-ce que je pouvais bien faire ? Je ne m’appelle pas encore Dieu, je n’ai pas le pouvoir suprême sur cette académie. Cracher sur le système et sur les autres c’était facile, trouver les solutions représentait déjà un problème plus coriace à résoudre. Mais bon, quand on a vingt ans qu’on est une tête de con, on possède souvent une vision simplifiée du monde, avec un versant blanc et un versant noir. Je vais pas me lancer dans des blagues racistes parce que voilà, terrain glissant, mais vous avez compris l’idée. Les accusations de Wells m’agacèrent, d’autant plus que ses plaintes avaient attiré les regards sur nous. Splendide. Magnifique. Franchement bravo du con. Je me retiens d’applaudir là. Sacré nom de Dieu, qui m’a pondu une boule de nerfs pareille ? Je dévisageai le nouveau surveillant, l’irritation obscurcissait mes yeux ternes. Je me rapprochai, ma voix se fit froide et basse.
« Quand t’auras fini de nous faire tes scènes de gamin communiste, tu comprendras peut-être que t’es pas le seul à en avoir plein le dos du système de ce lycée. Un conseil, ravale un peu ton venin, ça pourrait te sauver morveux. Sur ce, bon courage pour ton nouveau boulot. »
Décidant que j’en avais eu assez de tout ça, je me décollai du buffet et, les mains plongées dans les poches de ma veste, m’éloignai de mon ancien élève. J’avais besoin de sortir un peu, j’étais resté suffisamment longtemps parmi cette foule qui me fatiguait. Il me fallait me poser au calme, une tasse de thé bien chaud à mes lèvres et un endroit silencieux pour me détendre. Toute cette merde m’avait crispé, tous ces gens m’étouffaient. Je me glissai donc hors de la salle de réception sans prendre la peine de jeter un dernier coup d’œil derrière moi. Cette année promet d’être quelque chose…
De retour à l’appartement, Eliott dormait toujours. Je m’occupai donc de mes petites affaires le plus silencieusement possible pour ne pas le sortir de son sommeil. Je montai mes chaussures, ou plutôt ce qui restait de mes chaussures, dans la salle de bain et constatai mieux l’ampleur des dégâts. Eh bien j’ai eu mal. Elles étaient foutues. La toile était imprégnée de dégueulis, les lacets gouttaient de jaune marronné et l’odeur… Putain de merde l’odeur… Ah mais il fallait acheter un nouveau produit pour lutter contre ça sinon ça n’allait pas le faire. Heureusement que le peu de whiskey que j’avais bu ne m’avait pas grillé les derniers neurones qui me restaient et que j’avais bien fait gaffe de ne pas emmener le cadavre de mes godasses dans la salle de bain de ma chambre. J’aurais été forcé de dormir dans une bulle de gerbe sinon. Enfin bref, j’avais passé au moins deux heures à essayer de sauver mes pompes. Frotter, rincer, frotter, rincer, ce cycle répété en boucle dans la baignoire. Enculé de mec beurré tiens… J’avais sauvé les meubles comme je pouvais ce soir et j’étais allé me coucher. Le lendemain matin, j’étais de nouveau à quatre pattes dans la salle de bain pour repasser un dernier coup de produit sur mes pauvres Converses. Merci Bouddha, on était samedi. Bon, après un combat acharné, j’avais réussi à les sauver. Salopard. Si je te recroise mon con, je te fais bouffer mon pied au cul, connard.
Connard, connard… Ah oui c’est vrai, je disais qu’on me traitait assez souvent de connard. Un connard qui parle mal et qui remplit sa tête d’a priori. En même temps, tu vois un gars qui fait pitié en chancelant à la sortie d’un bar, ou une bande de mômes qui se rincent l’œil sur un magazine de lingerie, tu réagis comment ? Quelle image tu t’en fais ? Aux dernières nouvelles, on vit pas chez les Bisounours là. Nan nan, dans le vrai monde réel de la réalité véritable, les mecs bourrés te dégueulent dessus et les gamins se pignolent sur Stephanie qui pose dans ce magazine gisant sûrement planqué sous le plumard d’un de ces gamins. Me prenez pas pour une bleusaille, faut voir le monde comme il est un peu de temps en temps, quitte à passer pour un connard. La vision que je me fais des gens dépend uniquement de ce qu’ils choisissent de me montrer. Ils sont pas obligés de passer pour des personnes immondes, immatures ou immorales. C’est pas moi qui leur dis comment se comporter ou comment vivre. Si c’était le cas, vous pensez vraiment que je choisirais de m’entourer d’alcolos et de pervers ? … Mais non ! Putain… Bref… J’ai des images préconstruites dans ma tête, c’est comme ça. Ca fait vingt ans maintenant que je fonctionne comme ça donc bon, un peu tard pour changer. Pas sûr que j’arriverais à penser autrement même si j’essayais de toute façon alors, pourquoi m’emmerder ? J’ai mes a priori, comme le connard que je suis et je les assume. Les bourges de ce lycée sont des petites enflures pourries gâtées qui chient sur les idées d’égalité et de respect. Quand tout t’est servi sur un plateau depuis ton enfance, pourquoi t’emmerder à envisager la vie autrement ? T’as pas envie, en te réveillant le matin, de te démener pour t’offrir tel ou tel chose. Je les voyais comme ça, ces morveux à la cravate rayée.
Les remarques de Wells me firent rire intérieurement. Mon visage naturellement fermé ne laissait rien transparaître mais au fond de moins, un sourire se dessinait. Ce gamin était hargneux et montrait facilement les dents. Il avait ses convictions, ce que je respectais amplement. Il pensait qu’en aboyant fort, il se montrerait plus intimidant. Mais ce n’était qu’un chiot couinant après les disparités évidentes qui gouvernaient Hampton. J’avais conscience de ces différences sociales, il fallait être con comme une poêle à frire pour ne pas s’en rendre compte. Les quelques mois ayant suivi ma première rentrée furent suffisants pour que je m’aperçoive de tout ce petit manège. Je n’étais pas aveugle, ni plus débile qu’un autre, je savais que l’injustice gangrenait le lycée. Mais bon, à part recadrer les élèves péteux, qu’est-ce que je pouvais bien faire ? Je ne m’appelle pas encore Dieu, je n’ai pas le pouvoir suprême sur cette académie. Cracher sur le système et sur les autres c’était facile, trouver les solutions représentait déjà un problème plus coriace à résoudre. Mais bon, quand on a vingt ans qu’on est une tête de con, on possède souvent une vision simplifiée du monde, avec un versant blanc et un versant noir. Je vais pas me lancer dans des blagues racistes parce que voilà, terrain glissant, mais vous avez compris l’idée. Les accusations de Wells m’agacèrent, d’autant plus que ses plaintes avaient attiré les regards sur nous. Splendide. Magnifique. Franchement bravo du con. Je me retiens d’applaudir là. Sacré nom de Dieu, qui m’a pondu une boule de nerfs pareille ? Je dévisageai le nouveau surveillant, l’irritation obscurcissait mes yeux ternes. Je me rapprochai, ma voix se fit froide et basse.
« Quand t’auras fini de nous faire tes scènes de gamin communiste, tu comprendras peut-être que t’es pas le seul à en avoir plein le dos du système de ce lycée. Un conseil, ravale un peu ton venin, ça pourrait te sauver morveux. Sur ce, bon courage pour ton nouveau boulot. »
Décidant que j’en avais eu assez de tout ça, je me décollai du buffet et, les mains plongées dans les poches de ma veste, m’éloignai de mon ancien élève. J’avais besoin de sortir un peu, j’étais resté suffisamment longtemps parmi cette foule qui me fatiguait. Il me fallait me poser au calme, une tasse de thé bien chaud à mes lèvres et un endroit silencieux pour me détendre. Toute cette merde m’avait crispé, tous ces gens m’étouffaient. Je me glissai donc hors de la salle de réception sans prendre la peine de jeter un dernier coup d’œil derrière moi. Cette année promet d’être quelque chose…