Il soupira bruyamment et jeta un regard désespéré à l'horloge. Il s'affaissa encore plus sur lui-même lorsqu'il vit l'heure. 10H54. Seulement 10H54. Il lui restait une bonne grosse heure avant de pouvoir se poser. Putain.
Il passa ses mains osseuses -presque effrayantes de maigreur- sur son visage anguleux, soupira de plus belle et se redressa enfin. Il se leva, heurtant maladroitement ses longs membres contre le mobilier de la pièce, qui lui était inconnu. Il jura, se mordit la langue et marmonna quelques excuses dans le vide, comme s'il avait été insultant de pester dans ce lieu.
Karl jeta un œil à la liste de noms que sa collègue lui avait donnée le matin-même, lui assurant qu'il « lui sauvait la vie » et qu'elle « lui revaudrait ça ». Mouais. Il doutait sincèrement voir un jour sa collègue lui rendre un service en retour mais bon. En acceptant de la remplacer, quelques heures plus tôt, il pensait amener un peu de piquant dans son quotidien : après tout, on ne lui avait pas encore laissé s'occuper de recevoir les élèves convoqués, préférant lui laisser les tâches ingrates comme vérifier les listes d'appel ou monter dans les salles de cours pour justement rappeler aux professeurs distraits de faire l'appel. Il espérait pouvoir rester tranquille toute la matinée à cracher sur le système avec des élèves révoltés qu'il ferait semblant d'engueuler, pour la forme, mais non. Évidemment, il avait fallu qu'il ne tombe que sur des élèves insupportables qui se plaignaient des fonctionnaires incapables et trop payés par leurs parents, dont lui. Et évidemment, il n'avait pas su fermer sa grande gueule.
Résultat, les deux dernières convoquées, deux jeunes filles charmantes au demeurant mais légèrement trop attachées à leur classe supérieure, étaient parties en claquant la porte du bureau de vie scolaire, déclarant d'un grand air que « ça ne se passerait pas comme ça » et que leurs parents ne laisseraient pas un « minable surveillant » leur parler ainsi. « C'est ça, allez pleurer chez papa », leur avait-il lancé en retour, excédé. Pour ne rien arranger, le chauffage semblait avoir du mal à démarrer ce matin, et le jeune surveillant avait passé la matinée dans un semi-coma, à lutter contre l'engourdissement progressif et inexorable de ses membres.
Il regardait la liste donc, et il lut à voix basse le nom du prochain sacrifié : « Adrian Blackwood, Year 10... » Et bien sûr, pour lui comme pour les autres, il n'y avait pas le motif de sa convocation. Bah oui, après tout, à quoi ça aurait pu me servir de savoir pourquoi ils sont là, hein ?
Il ouvrit alors la porte et, sans réellement sortir du bureau, pencha la tête dans le couloir. Il ne chercha même pas à deviner qui pouvait être Adrian dans le groupe d'élèves qui traînaient dans le couloir, et il appela son nom.