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About Christmas




Le mois de décembre ne s’entamait que demain et le souffle de l’hiver se propageait d’ores et déjà dans les rues de Londres. Une couche de givre se cristallisait sur les fenêtres de ses habitations ainsi que sur les carreaux des voitures, retardant de cette façon les travailleurs matinaux. Le froid rongeait les doigts, étranglait les gorges et picotait les joues, tout le monde s’était donc réfugié derrière ses habits de fin d’année. Armés de leurs gants et écharpes, les conducteurs grattaient quotidiennement la pellicule gelée qui recouvrait leurs véhicules. Quelques soupirs plaintifs et jurons grincheux résonnaient dans les quartiers illuminés depuis peu par les couleurs de Noël. Le ciel blanc et aveuglant, les routes salées contre le verglas et le vent mordant ne retiraient rien au charme de la saison. Sous leurs bonnets de laine, les enfants espéraient chaque jour voir quelques flocons tomber. Ils attendaient tous les ans leur Noël blanc. Les jeunes Chloe et Tom, bambins de la nourrice des Willow, trépignaient d’impatience d’essayer leur nouvelle luge. Ils répétaient à leur mère, chaque soir, qu’ils étaient certains que le lendemain serait d’un blanc éblouissant. Ils lui répétaient qu’ils joueraient toute la journée dans la poudreuse, à construire le plus haut bonhomme de neige de Londres ou encore à bâtir leur forteresse pour résister à la prochaine bataille qui se préparait. La jeune maman les mettait toujours en garde, de vrais guerriers choisissaient toujours leur tenue de combat avec attention et minutie. Chaque soir ils acquiesçaient d’un « oui maman » presque gémi, et s’endormaient après avoir reçu leur baiser du coucher.

L’arrivée de la neige était certes très attendue par les enfants, mais Noël l’était tout autant. Les publicités et réductions sur toute sorte d’articles occupaient déjà écrans de télé et boîtes aux lettres. Les traditionnelles poupées, peluches et figurines défilaient sur les chaînes au moment du petit-déjeuner. Assis sur un coussin devant la table basse, Eliott Willow essayait de plonger sa cuillère de céréales dans sa bouche. Son attention portée sur les nouveaux jouets pandas qui étaient agités à l’écran, ainsi que ses gestes approximatifs, l’empêchaient de remplir son objectif. Bientôt, de lourdes gouttes de lait accompagnées de pétales sucrés atterriraient sur la table en verre. Un morceau de tissu blanc apparut soudainement sous le couvert métallique, comme par magie.

« Eh petit, c’est ta bouche qu’il faut viser, remarqua le papa d’une voix calme qui laissait transparaître son sourire.
- Désolé, répondit l’enfant avant d’engouffrer ses céréales dans sa petite bouche, guidé par la main pâle de son père.

Jamie, qui s’était penché en catastrophe auprès de son fils pour sauver sa table, s’agenouilla sur le tapis, aux côtés de son enfant. Il leva la serviette qu’il avait apportée.

- C’est cet ours qui a failli causer la mort de ma table ? s’enquit-il avec le sourire en essuyant la bouche laiteuse du petit.
- Panda… pas ours, corrigea difficilement Eliott sous la serviette.
- Si tu le dis, c’est toi l’expert, se résigna faussement Jamie.

La paire d’yeux bleu fumé resta rivée sur l’écran plat durant quelques minutes supplémentaires, l’une étant cependant bien plus captivée que l’autre. Plusieurs annonces furent projetées : certaines pour des jeux vidéo, d’autres pour des jouets plus manuels, des coloriages « magiques » d’après la voix off. Jamie observait les réactions de son fils, il devait sérieusement songer à s’atteler à ses achats de Noël. Il détestait s’y prendre au dernier moment et cela n’étonnait personne. Il prônait l’organisation et la rigueur et refusait de se retrouver noyé par la vague de retardataires qui se réveillaient tout juste avant le jour J. La foule et les grandes surfaces n’étaient guère sa tasse de thé et il faisait toujours de son mieux pour finaliser ses cadeaux le plus tôt possible.

Cette année serait le second Noël qu’Eliott passerait sans sa mère et en se disant cela, un nœud se forma dans la gorge du jeune papa. L’an dernier, Jessica avait refusé de se présenter au repas familial. Elle était venue redéposer le petit garçon après sa semaine passée chez elle, avant que les festivités ne commencent. Au moment de quitter l’appartement, elle avait discrètement remis ses cadeaux à Jamie en lui demandant de les transmettre à leur fils avec un baiser. Elle s’en était allée après de brefs au revoir et laissa l’homme silencieux dans l’entrée qui était autrefois la leur. Jamie détestait revoir Jessica. Les semblants de discussions qu’ils pouvaient entretenir l’ennuyaient pour commencer, et se retrouver devant cette femme faisait rejaillir la culpabilité qu’il essayait de ravaler tant bien que mal. Jessica remuait, certes inconsciemment, toujours le couteau dans la plaie, engendrant ainsi un profond malaise dans les entrailles de Jamie. Ce dernier était rongé par les remords de l’avoir fait souffrir elle, et par ce qu’il infligeait à son fils contraint de grandir sans sa maman chaque jour auprès de lui. Il redoutait de rendre son enfant malheureux et que ses choix aient condamné Eliott à mener une vie incomplète. Il s’en voulait terriblement d’avoir été assez stupide pour ne pas se rendre compte plus tôt de son erreur, cela aurait évité tellement de peine à tant de personnes. Si seulement il ne s’était pas montré si aveugle et faible ce soir où il a rencontré son ex-femme. Si seulement il ne s’était laissé consumer par son déni et ce deuil qu’il n’avait pas fait. Tellement de si à exaucer et de fautes à effacer.

- ‘pa ? appela une petite voix.
- Mmh ? fit-il le regard dans le vide, toujours absorbé par ses pensées.
- Terminé, annonça Eliott en reposant sa cuillère dans son bol vide.
- Ah, oui, remarqua Jamie en se frottant les yeux. Encore cinq minutes, accorda-t-il en désignant la télévision.  

Il se leva ensuite et attrapa le bol gris de son fils. Il atteignit la cuisine et, ne voulant pas démarrer le lave-vaisselle pour si peu, nettoya lui-même sa tasse matinale et le petit-déjeuner de l’enfant. Il frotta machinalement durant quelques instants, son attention portée sur le flux d’eau tiède coulant du robinet. Le ruissellement du liquide contre le fond du bac métallique l’empêchait de trop ruminer ses idées moroses. Combiné au parfum de pomme du produit, et aux voix joyeuses du dessin animé diffusé de l’autre côté de l’escalier, cette distraction gardait l’esprit de Jamie occupé. Il rinça ensuite la mousse formée sur sa vaisselle et l’essuya rapidement en quelques tours de mains. Une fois tout rangé et ses mains séchées, il s’approcha de nouveau du bambin tourné vers l’écran, le pouce sur ses petites lèvres rosées. Même si Eliott semblait apprécier l’émission qu’il regardait, Jamie reconnut l’absence d’entrain dans les yeux clairs du petit.

- Bah alors gamin, c’est pas la joie ? Aucune réponse, bien le fils de son père. Avec un peu de chance il va peut-être neiger aujourd’hui, envisagea Jamie en levant ses yeux vers la fenêtre.
- Peut-être, murmura passivement Eliott derrière son pouce.
- C’est tout ? Pas plus enthousiaste que ça ? C’est pas comme si tous les gamins du quartier attendaient comme des chiens devant leur fenêtre que les premiers flocons tombent… nota l’homme en haussant son sourcil fin.
- J’aime pas la neige.
- Ah ?
- C’est froid.
- C’est un peu le principe.
- J’aime pas le froid.
- Pourquoi ?
- Ça fait couler mon nez.

Charmant. Jamie ne put cacher son sourire en entendant cette confession si franche. Il était vrai qu’Eliott attirait les rhumes tous les ans. Rien de bien grave cela dit, mais la maladie le frappait suffisamment fort pour l’empêcher de sortir sans au moins trois paquets de mouchoirs sur lui. Jamie en avait essuyé des stocks de Kleenex ces derniers hivers. Il prenait toujours garde à bien couvrir son fils sous trois kilos de protection, mais il semblerait que son nez soit un aimant à bactéries particulièrement puissant. Un petit soupir s’échappa des narines de Jamie qui se pencha vers son garçon pour le soulever délicatement. Il l’amena tendrement contre sa poitrine alors qu’Eliott suçait son pouce.

- Plus qu’à te cacher dans ton écharpe et sous ton bonnet petit, souffla-t-il dans les cheveux noirs de l’enfant avant d’y déposer un baiser. Aller, direction salle de bain. »

Une fois leur petite routine matinale terminée et la voiture dégivrée, Jamie avait confié son fils à sa nourrice. Chloe et Tom attendaient depuis le salon qu’Eliott vienne les rejoindre pour essayer leur nouveau jeu. Noël n’était pas encore arrivé mais leur mère les avait déjà gâtés avec ce cadeau surprise. Les deux petits n’allaient pas se plaindre et étaient impatients de montrer cette merveille au jeune Willow. Jamie avait comme toujours indiqué l’heure de son retour et dit au revoir à Eliott avant de se rendre au lycée. Journée froide et normale, des nez coulaient sur les tables. Super. Le soir arriva relativement vite, peu de cours avait retenu l’enseignant. Il s’était donc libéré dans l’après-midi mais n’était allé chercher son fils que plus tard. Lorsqu’il avait vu le visage radieux d’Eliott en arrivant chez sa nourrice, il eut envie de lui laisser un peu plus de temps avec ses amis. Ce fut donc en début de soirée que les deux Willow se retrouvèrent. Le chemin du retour fut calme, le plus jeune s’endormit même à l’arrière, les guirlandes illuminant les maisons teintaient son visage à travers la vitre. Il devait avoir bien profité de sa journée, se dit Jamie. Eliott eut quelques difficultés à finir son assiette, ses paupières se faisaient déjà trop lourdes. Un rapide passage à la salle de bain et au lit. Huit heures du soir et le petit garçon dormait déjà à poings fermés dans son lit. Le papa ne resta pas longtemps, nul besoin de s’éterniser devant la fatigue accablant l’enfant.

En regagnant la cuisine pour se servir un thé, Jamie passa devant la grande fenêtre qui occupait le mur du salon. De l’autre côté brillaient les illuminations, du rouge, du doré, du blanc, toutes ces couleurs clignotaient dans les rues et sur les toits. L’esprit de fête habitait le quartier et ses alentours. Il réalisa cela et parcourut d’un œil aiguisé la grande pièce terne qui l’entourait. Seules quelques petites lampes étaient allumées par-ci par-là, deux près de la télévision, une autre sur le bureau sous l’escalier, le lustre de l’entrée, toutes ces touches de lumières donnaient une ambiance cosy et chaleureuse au foyer. Toutefois, un fait ne pouvait être nié. Cette pièce manquait de couleurs. Jamie avait toujours opté pour des teintes sobres et neutres, les tons plus vifs lui perçaient la rétine. Cependant, le fait était toujours là. Il manquait des couleurs.

« Hmm, souffla Jamie.

Il fixa ensuite un coin de la pièce plutôt sombre et suffisamment vide pour l’image d’un grand arbre vert enguirlandé surgisse dans son esprit.

- Ouais je crois bien qu’il faut s’y coltiner à un moment… », soupira-t-il.

Une fois son thé noir mis en tasse, Jamie gravit les marches pour rejoindre le premier étage. Il prit soin d’éviter les zones grinçantes du plancher lorsqu’il s’approcha de la trappe menant au grenier. Il la passa cependant afin d’y amener une chaise de son bureau. Il grimpa sur l’assise en bois et ouvrit l’accès à la pièce cachée, déroulant ainsi quelques marches pour y monter. Sa tasse à la main, il pénétra dans l’ombre du grenier, ombre vite chassée par la petite ampoule que Jamie alluma grâce à un cordon qui pendait du plafond. La lumière n’était pas crue, mais elle était suffisante pour progresser aisément dans la pièce. L’homme aux cheveux bruns prit une gorgée de thé et suivit le chemin qu’il avait gardé en mémoire depuis les années précédentes. Il passa devant quelques meubles entreposés ici et là, de vieux bacs remplis d’affaires et d’objets obsolètes que tout le monde gardait cachés dans un coin, avant d’atteindre ce qu’il cherchait : le carton annoté négligemment au marqueur noir ‘Christmas stuff ’. Soulagé de ne pas avoir eu à chercher trop longuement, Jamie posa sa tasse sur une étagère mise là, et se chargea se dégager le carton de sa cachette. Au bout de quelques jurons étouffés, il parvint à le disposer à terre. Victorieux, le brun se frotta les mains et se prépara à faire le tri des guirlandes, boules et autres décorations. Alors qu’il s’apprêtait à s’agenouiller, ses yeux bleus croisèrent quelque chose. Quelque chose qui lui coupa le souffle l’espace d’un instant. Quelque chose qu’il ne pensait pas voir ce soir. Un autre carton était caché derrière les babioles de Noël. Un carton qu’il n’avait pas ouvert depuis dix ans et qu’il avait pris soin de dissimuler au fond de ce grenier. Dessus étaient inscrites deux lettres : MG. Deux lettres qu’il avait inversées pour ne pas éveiller trop de soupçons. A la vue de ces deux lettres et de ce carton, Jamie déglutit. Il tenta de déglutir, sa gorge était trop serrée. Il savait ce qui se trouvait à l’intérieur de cette caisse. Des souvenirs. Des souvenirs qu’il avait cachés à tant de personnes. Des souvenirs qu’il avait fuis, la douleur était trop acerbe. Il avait repensé à ces souvenirs, souvent même, mais jamais il ne s’était de nouveau retrouvé en face d’eux. Y être confronté lui faisait mal. Et pourtant, le voici devant ce carton à hésiter. Ouvrir la cage aux souvenirs ? La laisser fermée ? Il serait sûrement plus sage de détourner le regard et d’oublier ce fichu carton. Il n’était pas venu pour contempler le passé. Il ne gagnerait rien à remuer ce qu’il essayait d’enterrer depuis plus de dix ans. Mais, malgré toutes ces larmes, tout ce chagrin, il n’était pas parvenu à jeter le contenu de ce carton secret. Il avait gardé le possible et l’avait rangé ici. Pourquoi ? Il ne connaissait guère la réponse. Y avait-il même un sens à en chercher la raison ? Il ne savait même plus. Il était toutefois sûr d’une chose : il voulait ouvrir cette boîte. Il voulait en soulever les quelques morceaux qui la maintenaient fermée. Il voulait revoir ce qu’il avait enfermé. Il voulait revivre ce qu’il avait enfermé. Il soupira.

« Fait chier.        

Il écarta, non sans violence, les ‘Christmas stuff’ et s’empara de ce coffre rempli de vieux fragments. Une fois le carton devant lui, il inspira profondément, comme s’il s’apprêtait à retenir son souffle, et ouvrit la boîte d’une main tremblante. A genoux, il commença à examiner les trésors qui s’y trouvaient. La petite ampoule qui luisait au-dessus de Jamie lui montrait tout ce qu’il redécouvrait après ces années d’enfermement. Au fond du carton étaient empilés quelques livres devant lesquels étaient encastrées des figurines en tout genre. Un sourire nostalgique et un regard d’une brillance voilée s’imprégnèrent de ces trésors. Un petit rire s’envola des lèvres serrées du jeune homme quand il sortit quelques figurines pour les admirer. Jason Voorhees,  Leatherface, Freddy Krueger, Michael Myers…

- T’avais beau crier comme un bébé, ça t’empêchait pas de les regarder ces films, hein ? murmura Jamie en inspectant le visage masqué de Myers. Abruti.

Un petit sourire en coin et il reposa soigneusement le tueur avec les trois autres. D’autres personnages reposaient sur les comics entassés contre les bouquins. Il reconnut les reproductions retro de Batman, Wolverine, Spiderman et bien d’autres qui trônaient autrefois sur le bureau de celui qu’il avait perdu. Jamie se rappela alors des fois où il le taquinait pour sa collection. « T’es qu’un geek » lui lançait-il, « ouais mais tu m’aimes comme ça » était à chaque fois la réponse. Son sourire faible frémit alors qu’il sortit le reste des figurines et les comics qu’il disposa près des quatre autres. Jamie se pinça péniblement l’arête du nez et jeta son dévolu sur la suite des souvenirs, la collection de bouquins. Les titres étaient en Français, sans grande surprise. Il prit les livres policiers qu’il avait lus quelques années plus tôt, les livres avec lesquels il avait appris à aimer la langue française. Nombreuses étaient les enquêtes qu’il avait suivies au fil de ces pages et revoir ces vieilles couvertures lui donna comme une soif de relecture. Peut-être plus tard. Il empila tous ces romans à côté des supers héros et se pencha sur le carton pour continuer son voyage dans le temps. Un simple coup d’œil lui permit de lire le prochain titre : Harry Potter à l’école des sorciers. Nous y voilà, la fameuse saga, celle qu’il avait terminée après qu’il soit parti. Son visage se fit plus doux lorsqu’il se remémora ses entraînements oraux sur certains passages du premier volet. Il se rappela du moment avec le serpent au zoo et l’envie de le relire le poussa à feuilleter les pages de l’ouvrage. La scène qu’il cherchait se trouvait au début, il s’en souvenait. Alors qu’il arriva à la bonne page, quelque chose lui tordit le cœur. Il y avait quelque chose qui recouvrait les mots noirs. Trois choses. Chacune d’entre elles aiguisait davantage le picotement dans ses yeux. Qui les avait mises là ? Un tremblement grandissant agitait ses lèvres. Il posa ses doigts sur ce qui attira en premier ses yeux : une photo en noir et blanc sur laquelle Jamie arbore un grand sourire, il est en train de rire aux larmes. Une image si rare que la photo avait été inévitable. Il retenait une larme tombant de son œil clos grâce à son doigt. A côté de lui, il était là, en train de lui murmurer quelque chose à l’oreille, ce quelque chose qui avait complètement cassé le jeune Willow à l’époque. Ils étaient si… heureux. Sous leurs deux visages, Jamie put lire sur le papier gondolé par la pluie de ce jour-là : Jamie and his smile. L’écriture était négligée et les dégâts de la météo n’aidaient en rien. L’encre du stylo avait bavé mais le jeune papa était habitué à ces lettres. Il les avait lues tellement de fois que ces treize dernières années ne l’empêchèrent pas de les déchiffrer. Il retourna la photo pour y connaître la date. 14/05/2002. C’était avant que tout ne s’écroule. Il soupira puis fit de nouveau pivoter le bout de papier pour regarder une dernière fois ce visage. La photo avait été tirée sans couleurs mais Jamie reconnaissait ces billes vertes et ces cheveux châtains. Revoir son visage souriant et radieux lui procura un bonheur sincère. Ses yeux scintillaient et son sourire s’étirait. Son doigt glissa tel une plume sur le papier, puis il posa délicatement la photo sur le sol. Quand il aperçut le second objet, une voix résonna dans son esprit.

« Euh… Tu comptes déjà me demander en mariage Willow ? C’est un tantinet tôt nan ? »

Il ricana silencieusement en saisissant le petit anneau doré entre ses doigts. Il se souvint de ce jour où il lui avait offert cet anneau doré pour ses dix-huit ans. Le jeune garçon ne l’avait plus retiré ensuite et le portait en permanence à son annulaire droit. Le gauche lui aurait valu trop de remarques. Un jour cependant, au moment de la perte de ses cheveux, le Français n’arborait pas la bague à son doigt. Il avait affirmé l’avoir perdue quelque part et Jamie ne l’avait plus jamais revu la porter.  

- Perdue, perdue, vite fait quand même. Tu l’avais surtout planquée là-dedans.

Le papa sourit en formulant cela. Il examina quelques secondes l’anneau. Il était brillant et en parfait état. Tant mieux. Il fut intrigué en trouvant en plus de la photo et de la bague, une petite feuille de papier pliée. Perplexe, il s’empressa de la déployer et découvrit des lignes maladroitement écrites en Français. Il reconnut tout de suite l’écriture de la photo. Il n’avait pas souvenir d’une telle chose et commença à lire, nerveux.

La lettre :

Sa main était fébrile et ses yeux s’humidifiaient. Il arriva à la fin, secoué. Ses larmes menaçaient de couler.

- Je t’aime aussi Kätzchen, souffla-t-il en serrant la lettre et l’anneau dans ses mains. Putain tu fais chier Morel », se plaignit-t-il en regardant le plafond de bois pour retenir ses sanglots.

Il renifla brièvement puis quelque chose vibra derrière lui. L’écran de son téléphone s’alluma.


1 NEW MESSAGE: Jessica    

Jessica :
Bonsoir. Est-ce que tu es disponible demain ? J’aurais besoin de te parler des cadeaux pour Eliott. On peut aller prendre un café quelque part. Redis-moi. Bonne nuit.


Le lendemain, Jamie était installé à une table contre la baie vitrée d’un café sur Soho. Il était presque 12:30 pm et il attendait patiemment l’arrivée de son ex. Tous les deux s’étaient donné rendez-vous ici à la demie afin de discuter de leurs achats de Noël. Ce moment devait se dérouler, même si Jamie aurait préféré pouvoir passer son tour, surtout après la soirée précédente. Nous étions samedi et le temps était le même que celui des premiers jours de la semaine, froid et sec. Le brun n’avait ni retiré son manteau ni défait son écharpe en laine. Il ignorait combien de temps durerait cette entrevue et il ne voulait pas s’embêter à se déshabiller avant l’arrivée de Jessica. Il craignait que retirer d’emblée son surplus de vêtements incite la jeune femme à s’éterniser ici. Le tintement d’une clochette alerta Jamie. La porte venait de s’ouvrir.

« Désolée d’être un peu en retard, les joies du givre, s’excusa Jessica en s’approchant de son ex-mari, sa queue de cheval rebondissait contre l’arrière de son crâne.
- Pas grave, répondit gravement Jamie alors que la psychologue s’installa en face de lui.

Jessica se mit à l’aise sur sa chaise et les deux adultes passèrent leur commande. Un capuccino et un thé leur furent servis après quelques minutes d’attente. Quelques banalités échangées plus tard, ils entrèrent dans le vif du sujet.

- Hors de question.
- Quoi ? Pourquoi pas ?
- Jamais mon gamin n’aura une de ces putains de tablettes à Noël.
- Les enfants apprécient grandement ce genre de produits, ça permet de les stimuler et d’aider leur cerveau à se développer.

La voilà partie.

- Pour la dernière fois, c’est non. Eliott a trois ans, je refuse de foutre un de ces trucs entre ses mains.  
- Il y sera confronté un jour tu sais, il faut le préparer.
- Il sera préparé dans dix ans et puis c’est tout, conclut Jamie en apportant sa tasse de thé à ses lèvres. Jessica fronça les sourcils en remarquant le bijou à son majeur droit.
- Il pourrait s’occuper comme ça, il en a besoin, piqua-t-elle amèrement.
- Je suis censé comprendre quelque chose ? rétorqua-t-il d’un ton glacial.
- Je sais pas, tu comprends quelque chose ? Face au silence, elle reprit. Eliott m’a dit que tu lui avais trouvé une nounou. Depuis quand ?
- Juin.
- Et tu ne m’en as jamais parlé ?
- Non.
- Je peux savoir pourquoi ?  
- J’ai jamais jugé utile de te le dire, avoua-t-il sèchement en reprenant une gorgée de thé.
- C’est vrai que ça ne sert à rien de prévenir la mère de ton enfant que tu le confies à une nourrice célibataire plusieurs fois par semaine. Elle croisa ses bras contre sa poitrine. Apparemment le courant passe bien avec cette famille.
- Eliott s’entend bien avec les gosses de Heather.
- Heather huh ? releva Jessica avec amertume. Tu dois vraiment bien l’apprécier pour la fréquenter depuis aussi longtemps.
- Arrête avec tes insinuations débiles.
- ‘Débiles’ ? répéta-t-elle exaspérée. Tu as le droit de refaire ta vie mais arrête de me prendre pour une conne comme ça. C’est pas comme si tu te cachais en plus, ricana aigrement la jeune femme, les yeux rivés sur l’anneau que portait Jamie.
- Tais-toi, grogna-t-il gravement.
- Tu pourrais assumer quand même.
- Tu sais pas de quoi tu parles.
- Ah oui en effet, six mois et elle t’achète déjà une bague. Il faudra qu’elle me dise son secret, en sept ans je n’ai jamais rien réussi à t’offrir un seul bijou, se moqua-t-elle en sirotant son capuccino. Et puis c’est pas comme si l’alliance comptait.
- …
- Et qu’est-ce qu’elle t’a trouvé ? Avec quoi tu l’as fait monter au septième ciel ? Pas avec ta taille ça c’est certain.
- Arrête.
- C’est sûr que les femmes ont un penchant pour les hommes grands. Avec un peu de chance, tu es tombé sur l’exception. Et au lit ça la dérange pas de finir à quatre pattes ? Elle doit avoir un faible pour les nabots frigides émotionnellement constipés. Je me demande si c’est possible d’ailleurs. Est-ce qu’une personne de ce type existe vraiment… se demanda-t-elle en regardant en l’air.
- La ferme, grinça Jamie en serrant sa tasse.
- Quoi ? Je me demande juste avec qui mon insensible d’ex aime passer ses nuits. Et aussi avec qui il préfère passer du temps au profit de mon fils.
- Ça suffit ! La ferme ! cria Jamie en se levant, cette explosion fit se retourner les autres usagers du café et coupa le souffle de Jessica qui afficha une mine choquée. Vois avec Lily pour les cadeaux d’Eliott. »

Sa voix était basse, étranglée. Il ne regarda pas la femme étonnée assise en face de lui. Il sortit rapidement quelques pièces de sa poche et les plaça devant sa tasse avant de sortir du café. C’en était assez pour lui, il devait partir. Il ne pouvait plus supporter ses paroles, ses insinuations et ses reproches infondés. Il marcha sans réfléchir jusqu’à sa voiture et se laissa tomber à la place du conducteur. Il claqua la porte et roula chercher son fils. Ses yeux le brulèrent pendant tout le trajet et lorsqu’Eliott grimpa à l’arrière du véhicule, il remarqua les mains blanchies de son père serrées sur le volant.      

« ‘pa ça va ? demanda-t-il doucement, inquiet.

Jamie ne répondit pas sur le coup. Le ronflement de la voiture arrêtée combla le silence pendant quelques instants. Puis, ses yeux bleus se posèrent sur l’anneau qu’il avait revêtu la nuit dernière et il soupira, comme s’il était resté en apnée pendant de longues minutes. Ses muscles se détendirent légèrement et son étreinte faiblit.

- Oui. Aller, on rentre faire le sapin, il est grand temps. »

Tellement de si à exaucer et de fautes à effacer. Peut-être que ce Noël lui accordera un souhait ? Ils firent alors route vers leur nid alors que quelques flocons se mirent à chuter.


Kätzchen = Chaton

(c) Dream



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